« La Ligne », le western bergmanien d’Ursula Meier

Valeria Bruni Tedeschi et Elli Spagnolo dans « la Ligne » d’Ursula Meier

Valeria Bruni Tedeschi et Elli Spagnolo dans « la Ligne » d’Ursula Meier © BANDITA FILMS/FILMS DE PIERRE/FILMS DU FLEUVE

Critique  La réalisatrice franco-suisse offre trois magnifiques rôles de sœurs à India Hair, Stéphanie Blanchoud et la très jeune Elli Spagnolo. Ce soir à 22h40 sur Canal+ Cinéma(s).

Chez la réalisatrice Ursula Meier, l’espace, qu’il s’agisse d’une autoroute cacophonique (« Home ») ou de sommets enneigés (« l’Enfant d’en haut »), déclenche toujours l’imaginaire. Un pavillon aux baies vitrées situé près d’une pêcherie ; au loin, des HLM et des montagnes ; au sol, une ligne bleue. Celle peinte par Marion (Elli Spagnolo), benjamine d’un clan de femmes dominé par une mère toxique, Christina (Valeria Bruni Tedeschi), musicienne frustrée et autocentrée. Cette mère, sa fille aînée, Margaret (Stéphanie Blanchoud), s’est précipitée sur elle, l’a rouée de coups puis giflée pour une broutille, une histoire de robe, une énième remarque déplacée. Meier grandit la scène, d’une violence totale, en la filmant au ralenti sur le « Cum Dederit » de Vivaldi.

Névrosse maternelle

Frappée par une mesure d’éloignement - défense absolue de s’approcher de la demeure familiale à moins de cent mètres -, Margaret échoue chez son ex-amant (Benjamin Biolay), qui la recueille à la condition qu’elle cesse de se battre et inspecte son corps comme celui d’une junkie : compte-t-il de nouvelles ecchymoses ? Mais Margaret, personnage borderline, revient jour et nuit hanter la ligne, cette frontière mentale (border en anglais) dont la petite Marion, soucieuse d’apaiser le conflit et de ménager les deux parties, devient la sentinelle. A part ça, on va bientôt fêter Noël.

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Variation de focales, travail sur la distance… Ursula Meier, avec une vraie maîtrise formelle, propose un western bergmanien. Il s’ancre autour de la névrose maternelle qui a empoisonné les sœurs : Margaret, musicienne sensible, besoin d’amour fou, s’empêche de chanter (« Elle a tout hérité de moi, qu’est-ce qu’elle en a fait ? », commente l’impitoyable Christina). Marion se réfugie dans sa foi (elle parle à Dieu), Louise (India Hair), en petit soldat déterminé, s’accroche coûte que coûte au bastingage de la norme. Le seul moment où Christina suscite un peu d’empathie provient d’une séquence où, assise sur un pliant en plein air, elle écoute un CD de ses récitals passés.

La cinéaste joue sur les registres (drôlerie, cruauté, hystérie), fait disparaître Margaret au profit de Marion, qui, contaminée par la dinguerie générale, prend en quelque sorte sa place. Elle sait diriger ses comédiennes (si l’on connaissait le talent d’India Hair, on découvre celui de la très jeune Elli Spagnolo et de Stéphanie Blanchoud). Qu’éprouver sinon du respect pour sa manière de creuser un sillon têtu, de dessiner un cadre très précis et d’y jeter de l’imprévu ?

Lundi 29 avril à 22h40 sur Canal+ Cinéma(s). Drame franco-suisse d’Ursula Meier (2023). Avec Stéphanie Blanchoud, Valeria Bruni Tedeschi, Elli Spagnolo, India Hair, Benjamin Biolay. 1h43. (Disponible à la demande sur myCANAL).

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